Créer un site internet

Une semaine à Dumila [2] : Fourmilière d'enfants astucieux

"La vie s'écoule différemment ici" (Said)

 

          Le soir de mon arrivée, nous avons joué au jeu des âges. Un garçon à qui je donnais dix ans en avait en réalité quinze. Car, selon Said, "On grandit plus vite que vous". Difficile de le contredire. Il faut grandir vite, car la vie est rudimentaire. Certains s'en sortent mieux que d'autres, et cela se voit à leur tenue.
Dans le voisinage, certains enfants sans chaussures portaient tous les jours le même tee-shirt sale et troué. Ils fouillaient fréquemment la décharge sauvage située près de la maison, à la recherche de restes. Un soir, j'ai jeté des os de poulet, qui ont disparu le lendemain.
Un autre jour, j'ai acheté des bananes pour mon équipe de foot perdante. Je pense que c'était une erreur. D'autres enfants sont arrivées. Ils étaient tous agglutinés autour de moi, tendaient les bras en répétant "Me, me, me !". Ils me faisaient un peu penser à des oisillons. Un bambin était en pleurs car quelqu'un lui avait arraché sa banane. Je suis donc parti en racheter une nouvelle poignée.

          La Mama de Said peut se vanter d'être bien logée par rapport au reste de l'ensemble communautaire. Une dizaine de personnes dont une moitié d'enfants vivent dans des chambres organisées en rond autour de la cour et d'une allée donnant sur une arrière cour.
Chez Mama, propriétaire de l'ensemble, il y a trois chambres, dont deux sans lumière. Le tout est plutôt propre et assez bien équipé. La douche est plus qu’optionnelle, et désormais, je comprends mieux l'utilité du déodorant l'Oréal 96h que Said m'avait demandé de lui acheter.

Chacun de ces locataires a le contact facile, mais Said est le seul à parler anglais.

Chaque matin, nous faisions des allers retour avec des jerrycans d'eau pour réapprovisionner le réservoir. Je suis resté sur la touche en ce qui concerne le désherbage à la machette (mouvement trop exigeant pour l'instant). 

Après leurs tâches ménagères, les gosses ont le temps de méditer, surtout en période de vacances. J'avais deux balles de foot avec moi. Leur réaction, quand je les ai sortis de la valise fut exceptionnelle. J'ai presque été aveuglé par la lueur dans leurs yeux. La première leçon d'anglais s'est achevée par la distribution du contenu de la valise. Gentil mais autoritaire, Said était le mieux placé pour donner un cahier et des stylos à chaque enfant.

Si on est un minimum créatif, on peut occuper les enfants toute la journée. Un après-midi, j'ai sorti un atlas de géographie, des feuilles et des crayons. Après avoir montré des cartes, j'ai commencé à dessiner les enfants devant moi. Ils sont devenus hystériques pour récupérer les quelques crayons que je distribuais (tous me les ont rendus).
Même lorsque je me posais dehors pour lire avec mes écouteurs, les bambins se rassemblaient autour de moi, touchaient mon livre, voulaient écouter ma musique, prendre des photos... J'ai passé le plus clair de mon temps à jouer au foot avec eux. 

 

Parfois, je me demande comment nous faisons pour nous ennuyer...

De la part de Said et des enfants, un grand Asante sana (merci beaucoup) à Françoise, Olivier et Dany pour les vêtements et le matériel scolaire donnés. Ils ont fait beaucoup d'heureux.


En France, les profs devaient parfois te traîner à l'école. Ici, même en vacances, ce sont les enfants qui te traînent à l'école.

 

          Mon premier cours d'anglais, je l'ai improvisé sur le tas. En réalité, je n'avais rien préparé car j'ignorais que j'allais devoir enseigner à environ vingt-cinq élèves. Vendredi à 19h, les enfants, âgés de 6 à 15 ans, ont fait irruption dans le petit salon de la maison. "Au fait bro, qu'est-ce que tu vas leur enseigner ?" m'a demandé Said. Moi : "Euuhh, english".
J'ai pu me débrouiller grâce à un dictionnaire anglais-swahili avec lequel je nommais des mots courants de leur langue avant d’épeler leur traduction en anglais. Un peu brouillon, mais avec un tableau sans craie et sans préparation, je ne suis pas mécontent de moi.

 

          Lorsque trois volontaires néo-zélandais sont arrivés en renfort, nous nous sommes partagés le salon. Je prenais les plus vieux pour leur faire dessiner des cartes, tandis qu'eux prenaient le tableau et les canapés pour leur apprendre des expressions et du vocabulaire basique. J'en ai peut-être perdu quelques uns rapidement et le manque de place n'aidait pas (presque dix enfants agglutinés sur une petite table, moi entre eux).
En deux jours, nous avons vu le système solaire, la carte de la Tanzanie et ses principales villes, le drapeau national et ses symboles. Quand les néo-zélandais sont partis prématurément, j'ai repris toute la petite classe. Je me suis alors concentré sur le lexique de base, grâce à des livres de premier cycle qui traînaient dans le salon.


J'ai vite pris le coup ade main : déplacement des canapés, table en position debout et dépliage du tapis.
Des exemples types : What did you do today ? What is your favourite animal ? How many brothers and sisters do you have ? Après chaque question, je passais à la correction individuelle et leur demandais de répéter ce qu'ils avaient écrit. Le plus jeune savait à peine parler mais arrivait à recopier ce que j'écrivais !

Je sortais chaque fois très satisfait, bien qu'épuisé. Les enfants veulent apprendre, mais surtout réussir. Rien ne leur fait plus plaisir que le petit V au stylo rouge du professeur, et, succès absolu, la mention very good. C'est assez perturbant de se faire appeler "Teacher", mais on s'y fait rapidement. Le plus drôle, c'est quand certains qui me croisaient dans la rue me saluaient d'un "Good morning teacher".

Je m'étais toujours dit que l'enseignement n'était pas du tout fait pour moi, mais je commence à penser que ce n'est pas complètement vrai (peut-être que j'aime bien qu'on m’appelle Teacher). Je reste néanmoins trop permissif pour donner des cours à des moins jeunes. Mon seul regret ici était de ne pas avoir emmené les cartes à colorier que j'avais préparé pour les enfants zambiens (avant de m'être cassé la clavicule).

Dumila Morogoro english class mama house asante football

Ajouter un commentaire